En Guinée, le règne de l’impunité face aux crimes sexuels

Dans un rapport qui documente l’ampleur des violences basées sur le genre, l’ONG Amnesty International exhorte les autorités guinéennes à renforcer l’arsenal législatif.

Manifestation contre les violences sexuelles, à Conakry, en novembre 2015. 

Ce jour de mars 2022, après une visite à la maison centrale de Nzérékoré, dans le sud de la Guinée, Hélène Kolkol Zogbélèmou a pensé « tout abandonner ». La militante des droits humains venait d’apprendre que l’homme qui avait abusé de l’enfant de 12 ans dont elle suit le dossier avait « disparu » de la prison. « La fillette est tombée enceinte et son bébé n’a pas survécu. L’agresseur n’a même pas été jugé pour ce qu’il a fait. Il a pu s’enfuir en soudoyant des agents pénitentiaires », témoigne la militante, jointe par téléphone. Pour elle, une affaire de plus qui démontre le règne de l’impunité face aux crimes sexuels en Guinée.

Ce constat implacable, Amnesty International le documente dans un rapport publié mardi 27 septembre à la veille d’un procès historique. Celui du massacre du 28 septembre 2009, au cours duquel soldats, policiers et miliciens ont tué plus de 150 manifestants et violé 109 femmes lors d’un rassemblement de l’opposition dans un stade de Conakry.

L’étude de l’ONG révèle qu’en Guinée, les violences sexuelles touchent « dans 75 % des cas des mineures, dont une large majorité a moins de 13 ans ». Imams, prêtres, médecins, policiers, enseignants… Ces figures d’autorité – en plus des pères, oncles, voisins – sont bien souvent impliquées dans les dossiers de viol. L’ampleur des abus et crimes est telle qu’Amnesty appelle les autorités à « adopter en urgence une loi générale sur les violences basées sur le genre ».

Car même si ces dernières années, les dépôts de plaintes ont triplé, passant de 125 en 2018 à plus de 400 en 2021 – signe d’une timide libération de la parole –, l’accès à la justice s’apparente à une course d’obstacles pour les victimes de viols et d’agressions sexuelles.

De cinq à dix ans de prison

Le pays a néanmoins récemment renforcé son arsenal juridique. Depuis 2016, le code pénal punit le viol de cinq à dix ans d’emprisonnement et jusqu’à la perpétuité lorsqu’il a entraîné la mort de la victime. Reste que les peines prononcées ne sont pas toujours « à la hauteur de la gravité des crimes commis », alerte l’ONG. « Il n’est pas rare de voir des violeurs présumés continuer de se balader librement dans le même quartier qu’une plaignante. Elles ont peur pour leur sécurité », confirme la militante Kadiatou Konaté, cofondatrice du Club des jeunes filles leaders de Guinée, jointe par téléphone et citée dans le rapport.

« Si vous parlez, la communauté vous prive d’accès aux soins de santé, à l’école et même à la pompe à eau »

Autre faille majeure dans le parcours des survivantes, l’accès aux soins médicaux. Faute de moyens, elles ne peuvent pas se payer une contraception d’urgence et ainsi éviter un avortement non sécurisé – mais aussi se protéger contre les infections sexuellement transmissibles. Sans oublier le certificat médico-légal, lui aussi payant. Bien qu’il ne soit pas exigé par la loi, son absence « devient un obstacle majeur à une possible condamnation au tribunal », constatent les auteurs de l’étude. Au total, les frais d’urgence avoisinent une centaine d’euros, une somme difficile à réunir rapidement dans un pays où le revenu mensuel moyen est de 79 euros, selon la Banque mondiale.

Le viol affecte également la vie sociale des survivantes. Amnesty cite le cas de la région de Nzérékoré, où intervient Hélène Kolkol Zogbélèmou, qui témoigne de l’existence d’un « embargo » à l’égard de ceux qui dénoncent les agresseurs. « Si vous parlez, la communauté vous prive subitement d’accès aux soins de santé, à l’école et même à la pompe à eau. Vous finissez par quitter le village. Et l’agresseur, lui, est protégé », explique-t-elle.

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Des cas d’arrangements extrajudiciaires – comme le paiement d’un dédommagement par l’entremise des autorités traditionnelles – nuisent également aux droits des victimes. « Ces pressions mènent à l’abandon des poursuites », note le rapport. « Les lois coutumières prennent fréquemment le dessus sur les lois de la république », confirme l’avocate Halimatou Camara, qui constate des rétractations fréquentes dans les cas d’inceste où « la famille va imposer le silence pour la cohésion du groupe ».

« Promouvoir la tolérance zéro »

Quand elles parviennent malgré ces embûches à déposer plainte, les victimes font face au dénuement des enquêteurs. Pourtant, depuis 2009, deux unités spéciales ont été créées au sein de la police et de la gendarmerie pour lutter contre les violences sexuelles. Mais « ces brigades manquent d’ordinateurs, de véhicules, de téléphones portables et de matériel scientifique afin d’analyser l’ADN ou le sperme recueillis », regrette l’ONG. Pour combler ces défaillances, les plaignantes doivent parfois régler des frais supplémentaires de leur poche. « Il arrive que les agents de police demandent à la famille de la victime de payer pour l’interpellation du suspect ou le dépôt de plainte », assure Kadiatou Konaté.

Alors qu’à son arrivée au pouvoir, en septembre 2021, la junte militaire s’est engagée à lutter contre les violences basées sur le genre, Amnesty plaide pour des mesures concrètes. L’ONG recommande de « promouvoir la tolérance zéro » face aux « stéréotypes de genre nuisibles » en mettant en place des campagnes de sensibilisation et de prévention.

Des dispositions indispensables pour accompagner le travail des organisations féministes qui ont contribué à briser l’omerta en dénonçant publiquement les cas de viol. Parmi les affaires emblématiques de ces derniers mois figure l’histoire de M’mah Sylla. En novembre 2021, la mort de cette femme de 25 ans suite à des viols successifs avait suscité une vague d’indignation dans les rues du pays. Les autorités avaient présenté leurs condoléances par voie de communiqué.

M’mah Sylla s’était rendue dans une clinique non agrée de Conakry pour y être soignée. Elle y avait été « droguée, violée et charcutée » par de prétendus « médecins », selon Halimatou Camara, son avocate. Les sept interventions chirurgicales qui ont suivi pour soigner ses blessures n’ont pas suffi à lui sauver la vie. « Elle était rongée par la culpabilité car elle s’est rendue d’elle-même chez ces faux médecins. Elle me demandait si ce qui lui était arrivé était de sa faute », confie la militante Djenaba Diallo, présidente de l’association Mon enfant, ma vie, jointe par téléphone : « Nous continuerons de lutter pour que toutes les victimes de viols cessent de culpabiliser pour ce qu’elles ont subi. »

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