Guinée : Une saison en enfer ! L’édito de Michel Taube

Une année après le coup d’Etat mettant fin au régime du président Alpha Condé, le 5 septembre 2021, personne ne sait où sont enterrés les dépouilles de la centaine de jeunes militaires tués au Palais présidentiel de Sekhoutoureya le jour du putsch.

Les corps déchiquetés de certains de ces jeunes soldats auraient été discrètement soustraits aux yeux de la population guinéenne, puis transportés dans les camions d’un homme d’affaires guinéen de la place – connu pour ses liens avec la junte – vers une destination inconnue. Nul ne saurait dire non plus où sont passés les 20 millions de dollars trouvés au Palais, les 8 millions d’euros de fonds souverains et de nombreux objets précieux découverts dans le bureau du président Alpha Condé.

Le colonel Mamadi Doumbouya [photo] a tout gardé, sans en informer le Trésor, tout en livrant quelques lampistes à l’opinion pour donner le change. Première victime, le commandant Alia Camara, véritable maître d’œuvre du coup d’état en ce premier dimanche de septembre, alors que Doumbouya était planqué dans un hôtel non loin de l’ambassade de France à Conakry.

Après quelques mois de prison, le commandant Alia Camara, a été affecté en région forestière, avant d’être kidnappé et détenu depuis dans un lieu secret. A l’instar d’autres militaires proches de l’ancien président, Lansana Conté, comme par exemple, le 7 juin dernier, le capitaine Abdoulaye Cissé.

La Guinée est aujourd’hui dirigée par un homme brutal, populiste, qui n’hésite pas à interrompre un conseil des ministres pour demander aux membres de son gouvernement d’aller… nettoyer les rues de la capitale ! L’homme est devenu paranoïaque, au point de dissoudre le corps des Forces Spéciales qui l’a porté au pouvoir, avant de ventiler les meilleurs éléments de l’armée à l’intérieur du pays et renforcer sa garde présidentielle par d’anciens camarades de la légion étrangère, encadrés par des experts israéliens.

Depuis son arrivée au pouvoir, les principales figures du narcotrafic ont fait leur réapparition dans les lieux publics de la capitale guinéenne. L’île de Kassa, en face de Conakry, est devenue le point de villégiature de certains d’entre eux le week-end.

Les deux principaux leaders de l’opposition guinéenne sont en exil avec leurs familles. Sydia Touré, leader de l’union des forces républicaines (UFR) vit à Abidjan, sa résidence de la Minière, quartier résidentiel de Conakry, ayant été transformée en Bureau guinéen des droits d’auteur.

Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg) vit à Dakar, tout en parcourant le globe pour sensibiliser les opinions internationales. Sa résidence, dans le quartier de Dixinn, a été rasée. A la place, la junte projette d’y construire un établissement scolaire.

Les deux hommes qui avaient « applaudi » l’arrivée au pouvoir du colonel « sauveur » Mamadi Doumbouya en sont pour leurs frais. Cellou Dalein Diallo est poursuivi pour sa gestion passée de l’ancienne compagnie aérienne, Air Guinée, lorsqu’il était ministre des Transports, il y a 20 ans. Ni l’un, ni l’autre, n’a dans le passé connu l’exil sous Alpha Condé. Les deux hommes sont aujourd’hui amers. La détestation du président Alpha Condé qui était le point de ralliement de l’opposition guinéenne s’est progressivement épuisée. Cellou Dalein Diallo confesse même que « son grand frère » Alpha ne l’a jamais expulsé de sa maison.

Depuis le 5 septembre dernier, la Guinée découvre un nouveau système de gouvernance fondé sur un évident amateurisme et une sévère épuration politique. En témoigne la création d’une Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF). Cette juridiction d’exception, qui prend directement ses instructions de la Présidence de la République, dirigée par le magistrat, Aly Touré, dont la famille aurait traversé la Méditerranée pour s’installer en France, est chargée de neutraliser toutes les personnalités politiques susceptibles de gêner la junte. L’ensemble de l’élite politique et administrative de l’ancien régime est aujourd’hui sous contrôle judiciaire, contrainte de pointer une ou deux fois par semaine dans les locaux de la Crief.

La procédure est kafkaïenne ! Les personnes visées sont d’abord arrêtées. Ensuite commence l’enquête. Le mandat de dépôt est donc acté avant la vérification des charges. Se retrouvent ainsi à la prison civile de Coronthie et sans procès : l’ancien Premier ministre Ibrahim Kassory Fofana, l’ancien président de l’Assemblée Nationale, Amadou Damaro Camara, l’ancien ministre de la défense, Mohamed Diané, les anciens ministres, Ibrahima Kourouma (Habitat), Oyé Guilavogui (Environnement), Albert Damantang Camara, (Sécurité, récemment libéré sous caution) le gouverneur de la Banque centrale, Louceny Nabé et Louceni Camara, ancien ministre du Tourisme qui y a rendu l’âme le 20 août 2022. D’autres leaders de la société civile, y séjournent, comme le chef du Front national pour la défense de la constitution, Oumar Sylla dit Fonike Mengue et ses camarades.

Des procureurs zélés, dont l’un d’entre eux, Charles Wright, a été promu ministre de la Justice, prennent des libertés avec les textes de loi, motivant la Crief à rendre des décisions sur la base de simples lettres de délation. Comme ce fut le cas pour l’actuel directeur de la Caisse nationale de sécurité sociale, Bakary Sylla ! Ce dernier a été jusqu’à remettre en mains propres la liste de tous les cadres indésirables de son département, afin d’incriminer son prédécesseur pourtant blanchi par un audit. Un avocat de la place fait remarquer la désinvolture avec laquelle sont rédigés les chefs d’inculpation quasi identiques, quelle que soit la personne incriminée : « corruption, détournement de deniers publics, blanchiment d’argent, enrichissement illicite ». L’objectif est clair : liquider l’ancienne classe politique.

Les caisses de conversion sont mises à contribution pour rallier à sa cause des membres de la société civile et les responsables des media locaux. Tel le groupe Hadafo Media, avec la radio Espace FM, appartenant à Lamine Guirassy, hier, critique féroce de la gouvernance du président Alpha Condé, alors que dans l’ombre, il était un visiteur du soir régulier du Palais Sekhoutoureya, est devenu, comme disent les Guinéens, le « laveur de chat » du colonel Doumbouya. Au point que l’animateur vedette de sa célèbre émission « Les Grandes Gueules », Moussa Moise, a été nommé aux premières heures, directeur de la communication …présidentielle !

Certains anciens ministres, opportunistes aux premières lueurs de l’aube en ce 5 septembre, ont également rejoint les antichambres du nouveau pouvoir pour prodiguer leurs conseils. Le célèbre chanteur de reggae guinéen, Takana Zion, surnommé « cube maggi », pour sa promptitude à passer d’un président à l’autre, a rejoint la même galaxie pour arrondir ses fins de mois.

Une année après, les Guinéens vivent la terreur au quotidien, subissant descentes musclées de militaires cagoulés à leurs domiciles, destructions de leurs maisons, interpellations sans mandat, exécutions extra-judiciaires, comme celle du jeune militaire Diané dans les locaux de la Présidence de la République.

L’homme d’affaires Kerfalla Personne Camara, dit KPC, s’est rapidement mis à la disposition du colonel Doumbouya. Il s’est vu confier la démolition, puis la reconstruction de plusieurs quartiers de Conakry. Un projet pour lequel, les différents intermédiaires civils et militaires auraient déjà touché leurs commissions. L’ancien légionnaire français devenu président, multiplie les manœuvres pour faire durer la transition guinéenne. Il n’a eu cure de la médiation de la Cedeao, dirigée par l’ancien président béninois, Thomas Boni Yayi. Il joue sur la fibre nationaliste des Guinéens et n’hésite pas à recourir à l’intimidation, au point de menacer de mort récemment, au téléphone, un blogueur qui l’avait traité de narco président, tout en ne parvenant pas à faire oublier son prédécesseur, ovationné le 24 août 2022 en sa présence, lors d’une cérémonie au Palais Mohamed V.

Depuis le 5 septembre dernier, le mystère reste aussi entier sur la liste des membres du Conseil national pour le rassemblement et le développement (Cnrd), limité à quelques spadassins :  le colonel Mamadi Doumbouya,  le chef d’Etat major, Sadiba Coulibaly, le général Aboubacar Sidiki Camara dit Idi Amine, ministre de la Défense, le colonel Balla Samoura, haut commandant de la gendarmerie, la lieutenante-colonelle Aminata Diallo, porte-parole, promue directrice  de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale, la Naomi Campbell du groupe, mariée au patron des chemins de fer, membre du conseil d’administration de l’agence de régulation des Postes et Télécommunications, le colonel Amara Camara, secrétaire général de la présidence. Ce dernier concentre entre ses mains, tous les pouvoirs d’un chef de gouvernement.

Le Premier ministre, Mohamed Béavogui, a déserté la Guinée et s’est installé en Italie, pour masquer une inévitable future démission. Le quotidien des Guinéens est devenu invivable avec l’envolée des prix, les caisses de l’Etat ont été vidées, et certains nouveaux dignitaires échafaudent des projets d’investissement dans l’immobilier en Côte d’Ivoire. Le spoil system dans l’administration a remplacé de hauts cadres par de jeunes pousses dont les cv ont été « pêchés » sur les réseaux sociaux. Toute honte bue, l’ancien caporal a inauguré en grandes pompes le grand hôpital de Donka, construit à 99% par le président Alpha Condé.

Totalement paranoïaque, l’ancien légionnaire devenu président changerait de domicile tous les soirs et ne se déplace dans les rues de Conakry que dans un blindé, encadré par une cinquantaine de véhicules surmontés d’armes lourdes.

Force de la peur ou peur de la force, les Guinéens s’interrogent…

 

Michel Taube

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