Cela ne fait que peu de temps que les archives portugaises ont commencé à révéler leurs secrets sur Mar Verde. Il a fallu le travail patient de l’historien militaire José Matos. Et un livre : « Ataque a Conakry: história de um golpe falhado », [Attaque à Conakry: histoire d’un coup avorté], publié par les éditions Fronteira do Caos. L’auteur y décrit une opération qui selon lui a été absolument unique. « C’est la seule fois dans la longue histoire de la guerre, explique-t-il à RFI, que le Portugal a essayé d’envahir un pays voisin. Dans ce cas spécifique, la capitale d’un pays voisin… L’objectif premier était de promouvoir un coup d’État et d’essayer de remplacer le régime de la République de Guinée, dirigée par Sékou Touré. Cette opération est également légendaire au Portugal parce qu’elle n’a pas été reproduite ailleurs. Une telle opération n’a jamais été entreprise ni en Angola, ni au Mozambique ».
À cette époque, Lisbonne mène une guerre sur trois fronts : Angola, Mozambique et Guinée [portugaise]. Il s’agit d’éviter de perdre les territoires d’Outre-mer, même si le Portugal avait dû céder en 1961 Goa, Damão et Diu, occupés par l’Inde. Pour tenter de mener l’opération contre Conakry sous couvert, les Portugais s’allient au FLNG, une organisation de l’opposition guinéenne en exil. Alpoim Calvão, capitaine de la Marine portugaise, a été le stratège de cette opération menée depuis la Guinée portugaise de l’époque. Il raconte dans des archives télévisées comment les liens ont été établis : « À l’époque, je savais qu’il y avait un groupe d’exilés guinéens qui avait constitué le Front de Libération Nationale de Guinée ; Ils étaient en contact avec le gouvernement portugais depuis longtemps et voulaient de l’aide militaire contre Sékou Touré. Notre opération avait pour but de mener à bien un coup d’État, et c’est nous qui devions fournir l’entraînement militaire et les armes. »
L’alliance n’allait pourtant pas de soi. Pendant des années, explique José Matos dans son livre, le Portugal n’a pas été très réceptif aux requêtes des opposants à Sékou Touré. « Les premiers contacts, écrit-il, ont été établis en 1966 avec les autorités portugaises installées à Bissau. Il y a eu des réserves de la part des autorités portugaises, surtout du ministère des Affaires Étrangères et aussi du ministère de l’Outre-mer par rapport à la capacité du FLNG à mener une action réussie contre le Président Sékou Touré. Nous avons constaté qu’en 1969 il a eu un changement de cap, c’est-à-dire que les réserves formulées par rapport à ce mouvement avaient été levées. Et il va y avoir un vrai soutien jusqu’à Mar Verde ».
Le commandant portugais Costa Correia a été l’un des personnages principaux de l’attaque de ce soir de novembre de 1970 à Conakry. Il a raconté au service lusophone de RFI les coulisses de cette opération. « L’idée remonterait à 1968. Tout a été préparé à travers plusieurs opérations, telles que des repérages sur zone de différentes embarcations portugaises, puis le rassemblement d’opposants du FLNG sur l’île de Soga, pas loin de la partie continentale de l’actuelle Guinée Bissau. Là-bas, ils ont reçu de l’entraînement, de l’équipement et du matériel militaire. Tout ça avant novembre 1970. »
« Il y a eu deux phases, poursuit l’ancien militaire. Une phase de préparation et une autre de conception de l’opération Mar Verde. La collaboration avec le FLNG a été très importante. Avant le déploiement, pendant deux ou trois mois, on a procédé à la récolte du matériel. En gros les acteurs de cette mission ont été formés pendant deux mois ».
« Il était vraiment idéaliste »
L’opération ne pouvait réussir, explique l’officier portugais, que si le FLNG disposait de réseaux sur place à Conakry. Des réseaux qui, en dépit du discours sur la 5e colonne déployée par le régime tout au long de l’année 1971, lui ont fait cruellement défaut le 22 novembre 1970. « La plupart des opposants étaient dans mon embarcation, le Montante. Je transportais le colonel Thierno Diallo, le docteur Hassan Assad et le journaliste Siradiou Diallo. C’était le colonel Thierno Diallo qui devait remplacer Sékou Touré, Hassan Assad devait être le Premier-ministre et Siradiou Diallo était le stratège, peut-être deviendrait-il un futur ministre de l’Information ? Mais il n’y avait là que trois personnes… Et en tout ils n’étaient qu’une cinquantaine, donc sur place, à Conakry on espérait qu’il y avait déjà un réseau bien constitué avec une solution structurée, sinon ils n’étaient pas assez nombreux pour espérer prendre le pouvoir. De ce côté-là, je pense qu’on a sous-estimé les ressources nécessaires pour que l’opération réussisse ».
L’histoire guinéenne a jusqu’ici laissé peu de place aux figures de l’opposition à Ahmed Sékou Touré. La propagande de l’État-Parti les a décrites pendant des années comme de simples marionnettes de l’impérialisme et non comme des acteurs politiques à part entière. José Matos s’est intéressé au colonel Thierno Diallo qu’il décrit comme un nationaliste idéaliste. « C’était, en fait, dit-il, un homme qui avait une vraie volonté de changement par rapport à son pays. Il détestait le régime du Président Sékou Touré, c’était quelqu’un qui voulait changer le régime à tout prix. Et c’est pour ça qu’il rejoint cette opération, c’était une idée osée, un rêve ! Essayer de changer le régime à travers la force ! Ce qui est très intéressant, c’est que le commandant Diallo, à la fin de cette opération, a publié un rapport dans lequel il se dit disponible pour revenir à Conakry dans le cadre d’une autre opération. Il était vraiment idéaliste, c’était quelqu’un de très engagé pour essayer de changer son pays ! »
Rfi