Massacre du 28-Septembre en Guinée: «Alpha Condé ne voulait pas organiser ce procès»

En Guinée, les audiences du procès du massacre du 28 septembre 2009 doivent reprendre ce mardi 11 avril. Cela fait plusieurs semaines que les parties civiles passent à la barre et décrivent les violences qui se sont déroulées ce jour et les jours suivants. Parmi elles, le diplomate guinéen François Fall, qui était à l’époque chef d’un parti politique. Son témoignage a pris fin la semaine passée. Entretien.

Massacre du 28-Septembre en Guinée: «Alpha Condé ne voulait pas organiser ce procès»

Massacre du 28-Septembre en Guinée: «Alpha Condé ne voulait pas organiser ce procès»

11 avril 2023 Non  Par LA RÉDACTION

En Guinée, les audiences du procès du massacre du 28 septembre 2009 doivent reprendre ce mardi 11 avril. Cela fait plusieurs semaines que les parties civiles passent à la barre et décrivent les violences qui se sont déroulées ce jour et les jours suivants. Parmi elles, le diplomate guinéen François Fall, qui était à l’époque chef d’un parti politique. Son témoignage a pris fin la semaine passée. Entretien.

RFI : François Fall, vous avez été l’une des victimes des violences du 28 septembre 2009, puisque vous étiez dans le stade aux côtés d’autres leaders de l’opposition de l’époque. Vous avez longtemps souhaité que ce procès ait lieu, sans être entendu. Qu’est-ce que vous ressentez maintenant que vous avez comparu ?

François Fall : Je ressens un grand soulagement, parce que, comme vous le dites, j’ai attendu treize années, comme toutes les victimes, pour que ce procès puisse se tenir.

 

Vous avez été Secrétaire général de la présidence et ministre des Affaires étrangères sous Alpha Condé. Comment expliquez-vous que ce procès n’ait pas eu lieu pendant la présidence d’Alpha Condé ?

Comme je l’ai dit devant le tribunal, et je le maintiens, il n’y avait pas de volontés politiques de la part du Président de la République, M. Alpha Condé, d’organiser le procès.

C’est le président Alpha Condé lui-même qui a bloqué sur la tenue de ce procès ?

La décision ne pouvait venir que de lui. Il a eu des ministres, dont Cheick Sako qui est venu accélérer le dossier. Et, comme vous le savez, ce dossier était un dossier de la Cour pénale internationale (CPI). Et la Guinée a demandé au titre de la complémentarité la délocalisation du procès en Guinée. Mais, malheureusement, il n’y a pas eu de volontés réelles de la part du Président de la République Alpha Condé d’organiser le procès. C’est ce qui a déterminé ce retard.

Comment est-ce que vous expliquez cette absence de volonté politique ?

Je pense que c’est certainement pour des raisons d’intérêts politiques. Je ne peux pas en dire plus, mais c’est évident que le Président Alpha ne voulait pas organiser ce procès.

Vous êtes partie civile à ce procès. Quelles sont les deux ou trois points sur lesquels les audiences ont pu jusqu’ici apporter un peu plus de lumière ?

Ce procès a commencé avec une série de dénégations de plusieurs acteurs, particulièrement le camp de ceux qui sont dans le box des accusés. On a voulu faire porter toute la responsabilité à l’ancien aide de camp de Moussa Dadis Camara, qui est Aboubacar Sidiki « Toumba ». Mais, en réalité, lorsque nous sommes venus, que ce soit Bah Oury, qui était le président de notre comité d’organisation aux Forces vives, et moi-même, on commence à mettre les pendules à l’heure. Des choses commencent à se clarifier. Nous avons identifié des responsables. Nous avons expliqué comment les crimes ont été commis. Un des acteurs clef, c’est Marcel, qui était très proche du capitaine Moussa Dadis Camara.

Vous voulez parler de Marcel Guilavogui, le neveu de Moussa Dadis Camara, et son ancien garde du corps ?

Oui, tout à fait, de Marcel Guilavogui, effectivement. Parce que pendant la première partie, lorsqu’il est passé au tribunal, il avait complètement nié, il a dit qu’il était malade, qu’il était à l’hôpital, alors que nous nous l’avons formellement identifié. Nous l’avons vu à plusieurs moments nous donner des coups violents, et menacer même de faire exploser une clinique avec une grenade.

L’une des questions qui se pose sur ce massacre du 28 septembre 2009 c’est le rôle qu’ont pu jouer des miliciens pro-Dadis, formés dans ce qu’on appelle le camp de Kaleah. Est-ce qu’on en sait plus à ce point du procès ?

Oui, effectivement, lors de ce massacre, nous avons formellement reconnu des officiers, des soldats de la garde présidentielle, des gendarmes, des policiers. Mais plusieurs témoins aussi identifiaient les miliciens du camp de Kaleah, qui étaient en formation non-loin de Conakry, qui ont été transportés et infiltrés au sein des manifestants qui ont massacré les populations. Et cette participation de Kaleah est évidente. Et les preuves ont été apportées. Et nous savions que c’était même une armée parallèle que le capitaine Moussa Dadis Camara était en train de préparer à Kaleah, parce qu’on parle de 9 000 hommes qui étaient en préparation. Mais il y a eu quand même deux bus de miliciens de Kaleah qui ont effectivement participé au massacre du 28 septembre.

Quand vous vous êtes exprimés devant la Cour, vous avez évoqué un point qui avait été peu documenté jusqu’ici. Les militaires ont tué, ils ont violé, ça on le savait. Mais cette horreur avait masqué autre chose : ils ont aussi pratiqué l’humiliation de femmes, qui ont été déshabillées et renvoyées nues en ville.

Les soldats se sont particulièrement acharnés contre les femmes : à défaut de les violer, les déshabiller, déchirer leur pantalon, leur robe, leur pagne. Et les obliger à sortir nues. Et ces femmes accouraient vers les familles riveraines du stade du 28-septembre pour chercher du secours. Et ce sont les femmes de ces familles-là qui sortaient avec les pagnes pour venir en aide à leurs sœurs. Cela, c’est une honte pour les soldats guinéens, et cela s’est produit à Conakry.

Pourquoi, selon vous, cette volonté d’humiliation des femmes ?

Vous savez, lorsqu’il y a des situations comme ça, les soldats utilisent l’arme du viol, et l’arme de l’humiliation. Comme pour dire aux femmes : puisque vous êtes venues ici, nous allons vous exposer. Et c’était ce qui a été pratiqué effectivement. C’étaient des mères de familles, souvent de grandes dames.

Les chiffres qui font référence au sujet de ce massacre, c’est au moins 157 morts, et au moins 109 filles et femmes victimes de violences sexuelles. À la barre, vous avez estimé que dans les deux cas, ces chiffres étaient certainement bien plus élevés que cela ?

Ceci est évident. Quand je prends seulement mon propre parti, je connais plusieurs femmes de mon parti qui ont été violées, qui ont été humiliées, et qui ne se sont pas faites enregistrées, parce qu’elles ont décidé de garder quand même le silence, derrière ce traumatisme-là qu’elles continuent à gérer. C’est la raison pour laquelle le nombre qui a été communiqué est bien en-deçà du nombre réel de femmes qui ont été humiliées et violées ce jour-là.

Est-ce que vous diriez qu’il y a dans ce procès aussi une dimension de réconciliation qui va au-delà de ce qu’il s’est passé le 28 septembre 2009, et qui touche à l’histoire de la Guinée, une histoire marquée par plusieurs épisodes de violences politiques ?

Oui, je crois que c’est la première fois qu’il y a un procès public contradictoire en Guinée pour des crimes de masse. Tout le monde connaît l’histoire tumultueuse de la Guinée, où il y a eu des violations massives des droits de l’homme. Et c’est la première fois donc qu’un procès public, qui est contradictoire, se tient, avec une pléiade d’avocats. Et je pense que cela doit servir pour l’avenir. Nous devons revisiter l’histoire de la Guinée. La Guinée doit passer par ce passage obligé pour réussir la réconciliation nécessaire dont ce pays a besoin, pour faire face à un avenir meilleur. Ce procès constitue pour moi une grande première qui aidera le pays à se réconcilier avec lui-même.

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