Aliou Bah, auteur d’un livre-programme «Agir pour la Guinée»

Aliou Bah, auteur du livre « Agir pour la Guinée », une réflexion multisectorielle d'un engagé politique. Éditions L'Harmattan.
Aliou Bah, auteur du livre « Agir pour la Guinée », une réflexion multisectorielle d’un engagé politique. Éditions L’Harmattan. © editions-harmattan.fr

RFI : Aliou Bah, dans l’essai que vous publiez, vous essayez d’analyser un certain nombre de pesanteurs du système politique guinéen en les replaçant sur le temps long. La vie politique guinéenne actuelle reste marquée, selon vous, par les années durant lesquelles Ahmed Sékou Touré dirigeait le pays (1958-1984), après l’indépendance jusqu’aux années 1980. De quelle manière est-ce que cette marque continue de se faire sentir ?

Aliou Bah : Le premier régime a instauré un système du parti-État, où l’Homme qui était au pouvoir est systématiquement confondu à l’État pour devenir Homme-État. Donc, au lieu d’avoir une présidence comme une institution, nous avons un président comme étant un Homme fort. Cette notion du chef qui nous amène à centraliser le pouvoir, à concentrer tous les moyens d’exercice du pouvoir, constitue un préjudice pour le développement économique et social de la Guinée.

Vous écrivez qu’en Guinée, les régimes politiques passent l’essentiel du temps à combattre l’opposition, en utilisant fréquemment les moyens les plus cyniques : la nomination des transhumants politiques, les promesses populistes et fallacieuses, la répression sanglante des activistes. Est-ce un constat qui s’applique à la transition en cours ?

Il y a des aspects de ce constat qui, bien entendu, s’appliquent à la transition en cours. Il y a eu des cas de répression, il y a eu des cas de violences, il y a actuellement des cas de prisons, il y a même des cas de harcèlement judiciaire contre des acteurs politiques – il y a certains acteurs politiques qui sont interdits de voyager, pour des raisons qu’on ne saurait expliquer. Nous nous préoccupons que la transition en cours ne puisse pas répéter les mêmes erreurs qui nous ont conduit aux mêmes blocages.

Alors justement, de quelle manière est-ce que la transition actuelle peut, selon vous, rompre avec les dynamiques négatives qui ont tiré le pays vers le bas ?

Il faut d’abord instaurer un environnement d’échange, parce qu’une transition, par essence, elle se gère par consensus. Vous avez suivi un processus de dialogue qui a été amorcé et qui n’a pas impliqué tous les acteurs représentatifs. On ne peut pas être sélectif lorsqu’on gouverne, surtout pour une transition. Lorsqu’on dirige une transition militaire, on s’assure d’avoir un bon consensus qui nous permet d’aller vers un processus électoral viable. Aujourd’hui, nous tendons vers la deuxième année de la transition. En ce qui concerne le processus électoral, qui est la voie par laquelle on sort de la transition, il y a encore beaucoup de choses qui devraient être faites qui ne le sont pas jusqu’à présent. Donc on a accusé beaucoup de retard et à un moment donné, la pression va commencer, parce qu’une transition, lorsqu’elle va au-delà de deux ans, elle prête à interrogation.

Pour revenir à votre ouvrage, vous évoquez dans ce texte un sujet délicat en Guinée : celui de la fibre communautaire qui reste encore souvent manipulée à des fins politiques. Comment est-ce qu’on peut, selon vous, dépasser, ce que vous appelez, les ethno-stratégies en Guinée ?

Il faudrait travailler sur deux paramètres : l’éducation doit être au cœur des priorités des politiques publiques parce qu’il y a un déficit. J’ai étudié en Guinée, il me semble qu’il y a beaucoup de choses qu’on a caché aux Guinéens sur l’Histoire de la Guinée. La question mémorielle doit être au cœur des priorités publiques, pour qu’on en parle, pour que nous soyons d’accord sur au moins une mémoire collective. Nous n’en avons pas. Chacun a son interprétation de l’Histoire politique de la Guinée. C’est très important. Deuxièmement, il faudrait que les législateurs soient plus rigoureux, parce que la plupart des discours à connotation ethnique et sectaire sont des discours sanctionnés par le fait de la loi, mais il y a un déficit d’application. Là aussi, c’est un volet sur lequel il faudrait travailler.

Dans l’un de vos chapitres, vous réfléchissez également sur la façon dont le panafricanisme est actuellement brandi par certains influenceurs. Quel regard est-ce que vous portez sur ce néo-panafricanisme ?

Je me rends compte, à travers certains agissements, que le panafricanisme prôné par certains c’est de dire que l’Afrique doit changer de maitre, à choisir soit telle puissance, ou telle autre puissance pour travailler avec nos États. Je refuse systématiquement cette approche parce que, pour moi, il n’y a pas un complexe à développer. L’Afrique est un continent qui intéresse presque tout le monde. Les opportunités sont là, donc nous pouvons composer avec tous les États, en rapport avec les intérêts de nos différents pays et aussi au-delà. Il ne faudrait pas qu’on fasse croire à la jeunesse africaine que les problèmes du continent sont ailleurs. Cet esprit complotiste qui consiste à trouver des excuses à notre mauvaise gouvernance par le fait de tel ou tel pays, je me dis que ce discours ne passe plus. Il faudrait que la jeunesse africaine comprenne que c’est à elle de régler les problèmes du continent, on n’a pas à s’apitoyer sur notre sort, et à croire que ça se passe à Paris, à Moscou ou à Washington.

Ce livre, Aliou Bah, a des allures de programme politique. Est-ce que vous vous préparez à être sur les rangs pour l’élection présidentielle qui aura lieu à la fin de la transition ?

Oui, je peux le dire. Je dirige un parti politique qui est en train de grandir, qui est en train de s’implanter, et nous comptons nous positionner par rapport aux différents scrutins qui vont s’organiser. Nous avons des élections locales qui, en principe, doivent s’organiser avant les élections nationales. Éventuellement, à l’élection présidentielle prochaine, si le parti me choisit et me porte confiance, je serai candidat.

 

RFI

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