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Monsieur le Président,
Excellences Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation,
Monsieur le Secrétaire général,
Je voudrais avant de commencer, Monsieur le PrĂ©sident, vous adresser les chaleureuses fĂ©licitations de la dĂ©lĂ©gation guinĂ©enne pour votre brillante Ă©lection Ă la prĂ©sidence de la 78Ăšme session ordinaire de lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations Unies.
Je voudrais également devant cette auguste assemblée, vous assurer du soutien de mon pays.
Je souhaite par la mĂȘme occasion rendre un hommage mĂ©ritĂ© Ă votre prĂ©dĂ©cesseur, Monsieur CSaba KĆrösi de la Hongrie.
à Monsieur le Secrétaire général, Monsieur Antonio GUTERRESS, je le remercie pour le dévouement avec lequel il dirige notre organisation.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
En venant prendre part aux travaux de la 78Ăšme session ordinaire de notre AssemblĂ©e, je voudrais mâacquitter dâun devoir, celui de vous transmettre les chaleureuses salutations du peuple souverain de GuinĂ©e.
Mon pays qui continue de fonder un espoir en lâOrganisation des Nations Unies pour trouver des solutions idoines aux questions auxquelles notre monde continue dâĂȘtre confrontĂ©. Dans ce cadre, nous pensons que les fondamentaux qui ont sous-tendu Ă la crĂ©ation de notre organisation doivent sâadapter aux mutations profondes de notre sociĂ©tĂ©.
Lâobjectif du thĂšme de la prĂ©sente session « Paix, prospĂ©ritĂ©, progrĂšs et durabilitĂ© », est dâactualitĂ©, Ă©vocateur et mĂ©rite une attention particuliĂšre de notre part.
EpidĂ©mie de coup dâĂ©tat en Afrique. AprĂšs celle de la Covid-19, le continent est frappĂ© par celle des putschs militaires. Notamment dans les pays francophones du sud du Sahara. Câest tout le monde qui les condamne. Qui les sanctionne. Qui sâĂ©meut de la rĂ©apparition brusque de cette pratique que lâon croyait rĂ©volu. A juste titre.
Mais jâai envie de dire que la communautĂ© internationale doit avoir lâhonnĂȘtetĂ© et la correction de ne pas se contenter de dĂ©noncer les seules consĂ©quences, mais de sâintĂ©resser et de traiter les causes.
Les coups dâEtat, sâils se sont multipliĂ©s ces derniĂšres annĂ©es en Afrique, câest bien parce quâil y a de raisons trĂšs profondes. Et pour traiter le mal, il faut sâintĂ©resser aux causes racines. Le putschiste nâest pas seulement celui qui prend les armes pour renverser un rĂ©gime. Je souhaite que lâon retienne bien que les vrais putschistes, les plus nombreux, qui ne font lâobjet dâaucune condamnation, câest aussi ceux qui manigancent,
qui utilisent la fourberie, qui trichent pour manipuler les textes de la constitution afin de se maintenir Ă©ternellement au pouvoir. Câest ceux en col blanc qui modifient les rĂšgles du jeu pendant la partie pour conserver les rĂȘnes du pays. VoilĂ les putschistes les plus nombreux.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je fais partie de ceux qui, un matin, ont dĂ©cidĂ© de prendre nos responsabilitĂ©s pour Ă©viter Ă notre pays un chaos complet. Une situation insurrectionnelle. Aucune force politique, toutes complĂštement neutralisĂ©es Ă lâĂ©poque, nâavait le courage et les moyens de mettre un terme Ă lâimposture que nous vivions. La rectification institutionnelle Ă laquelle mes frĂšres dâarmes et moi avons pris nos responsabilitĂ©s le 5 septembre 2021 nâĂ©tait quâune consĂ©quence de cette situation de chaos qui avait finit par fissurer le tissu social et mettre Ă mal le vivre ensemble.
En Afrique, notamment en Afrique de lâOuest, nous assistons avec lâĂ©volution de nos sociĂ©tĂ©s Ă des prises de responsabilitĂ©s par les Forces de DĂ©fense et de SĂ©curitĂ© qui suscitent interrogations, rĂ©flexions et actions de la CommunautĂ© internationale. La question que nous devons nous poser face Ă cette situation est la suivante : pourquoi les transitions militaires maintenant ? Je ne prĂ©tends pas avoir toutes les rĂ©ponses Ă cette question. Mais, je voudrais donner des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse Ă partir de lâexpĂ©rience vĂ©cue dans mon pays par le peuple de GuinĂ©e et par-delĂ dâautres pays de lâAfrique de lâouest confrontĂ©s aux mĂȘmes rĂ©alitĂ©s.
Sans ĂȘtre exhaustif, nous pensons que les transitions qui sont en cours en Afrique sont dues Ă plusieurs facteurs parmi lesquels on peut citer les promesses non tenues, lâendormissement du peuple, le tripatouillage des constitutions par des dirigeants qui ont pour seul souci de se maintenir indĂ©finiment au pouvoir au dĂ©triment du bien-ĂȘtre collectif. Aujourdâhui les peuples africains sont plus que jamais Ă©veillĂ©s et dĂ©cident de prendre leur destin en main.
La mauvaise rĂ©partition des richesses crĂ©e des inĂ©galitĂ©s sans fin, la famine, la misĂšre qui rendent le quotidien de nos populations de plus en plus difficiles. Ces inĂ©galitĂ©s font partie des causes des Ă©vĂ©nements qui mettent en pĂ©ril le vivre-ensemble. Quand les richesses dâun pays sont dans les mains dâune Ă©lite alors que des nouveau-nĂ©s meurent dans des hĂŽpitaux par manque de couveuse, il nâest pas surprenant que dans de telles conditions nous assistons Ă des transitions pour rĂ©pondre aux aspirations profondes du peuple.
LâAfrique souffre dâun modĂšle de gouvernance qui lui a Ă©tĂ© imposĂ©. Un modĂšle certes bon et efficace pour lâoccident qui lâa conçu au fil de son histoire, mais qui a du mal Ă sâadapter Ă nos rĂ©alitĂ©s, Ă nos coutumes, Ă notre environnement. HĂ©las la greffe nâa pas prisâŠ, Je sais que lorsque je dis cela, tout de suite ils sont nombreux Ă se dire « encore un bidasse qui veut tordre le cou Ă la dĂ©mocratie » « encore un soldat qui veut imposer sa dictature ».
Cependant, de façon trĂšs claire, sans hypocrisie, sans faux semblant, les yeux dans les yeux, Nous sommes tous conscients que ce modĂšle dĂ©mocratique que vous nous avez si insidieusement et savamment imposĂ© aprĂšs le sommet de la Baule en France, presque de façon religieuse, elle ne marche pas. Les diffĂ©rents indices Ă©conomiques et sociaux sont lĂ pour le dĂ©montrer. Ce nâest pas un jugement de valeur sur la dĂ©mocratie en elle-mĂȘme. Croyez-moi. Câest un bilan. Un constat sur plusieurs dĂ©cennies dâexpĂ©rimentation chaotique de ce modĂšle dans notre environnement. Une pĂ©riode oĂč il nâa Ă©tĂ© question que de joutes politiques. Au dĂ©triment de lâessentiel. LâĂ©conomie.
Permettez-moi de pousser lâexercice de vĂ©ritĂ© un peu plus loin. Avec ma courte mais intense expĂ©rience de gestion dâun Etat, la GuinĂ©e, jâai mieux mesurĂ© Ă quel point ce modĂšle a surtout contribuĂ© Ă entretenir un systĂšme dâexploitation et de pillage de nos ressources par les autres. Et une corruption trĂšs active de nos Ă©lites. Des leaders nationaux Ă qui on a souvent accordĂ© des certificats de dĂ©mocrate en fonction de leur docilitĂ© ou de leur aptitude Ă brader les ressources et les biens de leurs peuples. Ou encore de leur facilitĂ© Ă cĂ©der aux pseudo recommandations et injonctions de certaines institutions internationales au service des grandes puissances.
Je dois dâailleurs dans ce sens confesser que tout ce Ă quoi je fais face dĂ©passe toute imagination. Se sont les mĂȘmes qui professent la dĂ©mocratie, la transparence, la bonne gouvernance, qui dĂ©noncent la corruption, qui dictent les rĂšgles. Câest eux qui en off, trĂšs discrĂštement et sournoisement redoublent de pression pour nous faire cĂ©der notre patrimoine dans des contrats lĂ©onins.
Je comprends aujourdâhui certains dirigeants, quelques-uns de mes prĂ©dĂ©cesseurs qui, parce quâils avaient des fragilitĂ©s, parce quâils Ă©taient sous pression, ou parce quâils trainent des casseroles ou surtout parce quâils avaient un agenda politique ont cĂ©dĂ© Ă ce quâon leur demandait. Je les comprends sans les approuver. Certains mâont mĂȘme rappelĂ© que si jâavais un agenda politique je serais moins Ă lâaise pour mener Ă bien les rĂ©formes auxquels mon gouvernement et moi nous nous sommes attaquĂ©s.
Une chose est certaine, nous nâavons quâune seule prĂ©occupation. Le bien-ĂȘtre du peuple et le vivre ensemble. Câest cela notre prioritĂ©. Câest pourquoi la transition que je dirige a choisi de se consacrer avec mĂ©thode en fixant des objectifs clairs dans un ordre prĂ©cis. Le social, lâĂ©conomie et le politique.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Mon uniforme je lâai mise au service de mon peuple. Je vous serais reconnaissant de respecter ce serment. De nous tenir Ă distance respectable des divisions de toute sorte que beaucoup essaient de nourrir dans nos pays. Le sahel traverse lâune des crises les plus graves de sa trĂšs vieille histoire.
Mais elle a les ressorts nĂ©cessaires pour y faire face. Son sens lĂ©gendaire de la diplomatie doit ĂȘtre libĂ©rĂ© afin quâensemble nous nous parlions sans interfĂ©rence. Câest pour cela que la CEDEAO dont la vocation Ă©tait Ă©conomique doit cesser de se mĂȘler de politique et privilĂ©gier le dialogue.
Nous africains sommes fatiguĂ©s, Ă©puisĂ©s des catĂ©gorisations dans lesquelles les uns et les autres veulent nous cantonner. La population de lâAfrique est jeune. Elle nâa pas connu la guerre froide. Elle nâa pas connu les guerres idĂ©ologiques qui ont façonnĂ© le monde des 70 derniĂšres annĂ©es.
Câest pourquoi nous trouvons insultant les cases, les classements qui tantĂŽt nous placent sous lâinfluence des amĂ©ricains, tantĂŽt sous celle des anglais, des français, des chinois, des russes et mĂȘme des turcs.
Nous ne sommes ni pros ni anti amĂ©ricains, ni pro ni anti chinois, ni pro ni anti français, ni pro ni anti russes, ni pro ni anti turcs. Nous sommes tout simplement pro africains. Câest tout. Nous mettre sous la coupe de telle ou telle puissance est une insulte, du mĂ©pris, du racisme vis-Ă -vis dâun continent de plus dâun milliard trois cent millions de personnes.
Il est important dans cette prestigieuse et influente assemblĂ©e que lâon comprenne clairement, dĂ©finitivement que lâAfrique de papa, la vieille Afrique, câest terminĂ©. Avec une population de plus dâun milliard dâafricains dont environ 70% de jeunes totalement dĂ©complexĂ©s, des jeunes ouverts sur le monde et dĂ©cidĂ©s Ă prendre leur destin en main, il est venu le moment de prendre conscience que les structures, les rĂšgles issues de lâaprĂšs seconde mondiale, en lâabsence de nos Etats qui nâexistaient pas encore sont obsolĂštes. Câest la fin dâune Ă©poque dĂ©sĂ©quilibrĂ©e, injuste oĂč nous nâavions pas droit au chapitre.
Câest le moment de prendre en compte nos droits, de nous donner notre place. Mais aussi et surtout le moment dâarrĂȘter de nous faire la leçon, dâarrĂȘter de nous traiter comme des enfants. Rassurez-vous nous sommes suffisamment grands pour savoir ce qui est bien pour nous.
Nous sommes suffisamment matures pour dĂ©finir nos prioritĂ©s, pour concevoir notre propre modĂšle qui corresponde Ă notre identitĂ©, Ă la rĂ©alitĂ© de nos populations, Ă ce que nous sommes tout simplement. Nous vous serions fort reconnaissant de nous faire confiance et de nous laisser mener notre barque comme vous lâavez permis dans certaines rĂ©gions du monde. En Asie, au Proche et Moyen Orient. Pour ne citer que ceux-lĂ . Cette infantilisation est du plus mauvais effet pour une jeunesse africaine qui sâest Ă©mancipĂ©e.
Je ne saurai terminer mon propos sans souligner les menaces qui hantent la sous-rĂ©gion de lâAfrique de lâouest, gravement exposĂ©e, aujourdâhui, Ă des questions de sĂ©curitĂ© de tous ordres, de dĂ©veloppement et de stabilitĂ©. Les populations de la sous-rĂ©gion nâaspirent quâĂ une vie meilleure, au regard des leçons quâelles ont tirĂ©es de leur histoire et de leur dĂ©sir de vivre dans un espace et dans un monde de paix et de concorde avec les autres peuples du monde.
Dans ce contexte, nous sommes tous interpellĂ©s et appelĂ©s Ă procĂ©der Ă une meilleure analyse de la situation, en vue dâinitier et de poursuivre de nouvelles politiques au bĂ©nĂ©fice de tous. La communautĂ© internationale doit regarder lâAfrique avec des yeux neufs. Elle doit entreprendre avec elle dĂ©sormais une coopĂ©ration franche dans un esprit de partenariat Gagnant-Gagnant.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Colonel Mamadi DOUMBOUYA, Chef de lâĂtat, Chef SuprĂȘme des armĂ©es