Ousmane Touré, 23 ans, expulsé en 24 heures la veille de Noël vers la Guinée, devrait retrouver dans les prochains jours la France et La Rochelle où il travaillait. Ce spectaculaire revirement est dû à la mobilisation de son employeur, de la presse en particulier Blast et Sud Ouest et à un embarras administratif évident.
Ousmane Touré, 23 ans expulsé manu-militari le 23 décembre vers Conakry, capitale de la Guinée, son pays d’origine devrait bientôt reprendre le chemin de cette France qui ne voulait plus de lui. « Une question de quelques jours » selon son avocat Me François Drageon. « La première bonne nouvelle de l’année », estime Olivier Falorni, député Modem, ex PS, qui s’est beaucoup impliqué dans un dossier caractéristique « de la schizophrénie de la politique migratoire ».
Ousmane cochait toutes les cases de l’intégration en marche. Arrivé en France cinq ans plus tôt sans l’ombre d’un délit, titulaire d’un contrat à durée indéterminée sur un métier en tension au « Ginger », restaurant phare du port de La Rochelle, contribuable depuis 2020, connu et apprécié de tous… Il a pourtant été expulsé en l’espace de 24 heures sans même pouvoir passer chez lui prendre quelques affaires. L’autre paradoxe de ce dossier est que le préfet de Charente-Maritime signataire de l’ordre d’expulsion d’Ousmane a ensuite multiplié ses efforts pour faciliter son retour.
À la mort de ses parents emportés par le virus Ebola, Ousmane quitte seul la Guinée et entreprend à 15 ans un long périple à travers le Mali, l’Algérie et le Maroc. Ses deux frères plus jeunes sont recueillis chez une tante. À son arrivée en France, il est encore mineur et bénéficie, de fait, d’une protection qui interdit son expulsion. Il occupe un premier poste dans la restauration. À sa majorité, une prolongation de ses permis de travail et titre de séjour lui est accordée, mais ils ne seront pas renouvelés en dépit d’une situation stable. Le jeune Guinéen reçoit en février 2021 sa première OQTF (obligation de quitter le territoire français). Pourtant, dans l’intervalle, il a fait la rencontre de Carlos Foito, patron du Ginger, avec lequel une relation quasi-filiale s’est nouée. Le restaurateur lui fait un CDI comme commis avec la perspective d’une formation de cuisinier. Ousmane a la confiance de son employeur ainsi que la sympathie de ses collègues et des clients du Ginger. Son travail est rigoureux, sa ponctualité jamais prise à défaut et sa bonne humeur immuable, il sourit, plaisante et danse avec une capacité à faire descendre la pression lors des coups de feu en cuisine.
La routine de l’OQTF
Les OQTF se suivent, sans effet. La troisième prononcée le 23 octobre 2023 semble devoir suivre le même chemin. Son avocat de l’époque en oublie même de faire appel dans les deux mois impartis. Le 23 décembre donc, Ousmane Touré sacrifie au rite de la visite de routine au commissariat. Il est 9 heures, il embauche à 10 heures. Il est vêtu d’un jean et d’un simple t-shirt. Mais rien ne se passe comme prévu. Son expulsion lui est signifiée. Il est placé en rétention administrative à Bordeaux, puis transféré à Paris où il est mis d’autorité dans un avion pour Conakry.
Carlos Foito, intrigué par le retard inhabituel de son protégé, ne consulte pas tout de suite son portable sur lequel Ousmane l’a appelé dans la matinée à trois reprises en numéro masqué. Il apprend par message vocal que son salarié est en garde-à-vue. Puis tout va très vite, trop vite pour réagir à temps. Le restaurateur remue alors ciel et terre pour le retour d’Ousmane. Il est rapidement la cible d’un torrent d’insultes sur les réseaux sociaux. La fachosphère se déchaîne contre lui. Quand certains l’accusent de maintenir les étrangers sur le sol français, d’autres le taxe d’esclavagiste et d‘exploiteur de sans-papiers, sans même savoir qu’Ousmane est titulaire d’un CDI en bonne et due forme. Des appels anonymes et des menaces du pire saturent le standard téléphonique du Ginger. Mais Carlos tient bon.
La procédure d’expulsion a été engagée par Nicolas Basselier, préfet de Charente-Maritime jusqu’en septembre 2023. Son successeur Brice Blondel, arrivé à La Rochelle après trois années passées à l’Élysée en qualité de directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, hérite de ce dossier d’expulsion, un parmi d’autres. Il valide sans ciller le départ d’un jeune salarié sans histoire qui paie régulièrement ses impôts depuis trois ans. Son administration réalise trop tardivement la sensibilité du cas Ousmane Touré, survenant au lendemain de l’adoption de la loi immigration qui a secoué l’exécutif.
Rapatriement express
Le dossier a, de plus, fortement contrarié les autorités guinéennes. En effet, contrairement à de nombreux pays africains, du nord notamment, la Guinée délivre sans difficulté les laissez -passer consulaires sans lesquels les OQTF ne sont pas applicables et restent lettres mortes. Soit « 95% des cas » selon Me François Drageon. L’ambassadeur de Guinée en France a fait part du mécontentement de son pays de se trouver embarqué dans une expulsion aussi contestable que polémique. Le retour en France d’Ousmane doit se faire le plus rapidement possible en dépit des freins administratifs. En une semaine à peine, il reçoit son passeport guinéen. Un record. Dans la foulée, le préfet de Charente-Maritime délivre une autorisation de travail, passant outre l’obligation d’affichage pendant trois semaines à Pôle Emploi, rebaptisé France Travail, du poste laissé vacant. Le visa délivré par l’ambassade de Guinée, est la prochaine étape, annoncée comme imminente. Ousmane pourra alors prendre son billet retour pour la France. La Rochelle l’attend comme un enfant du pays.
Blast