C’est une décision sans précédent prise dans un contexte de profonde crise politique. Le chef de l’État sénégalais Macky Sall a annoncé ce samedi 3 février le report sine die de la présidentielle prévue le 25 février. C’est la première fois depuis 1963 qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, pays ouest-africain présenté comme un îlot de stabilité sur le continent.
Mais depuis 2021, le Sénégal a été en proie à plusieurs épisodes d’émeutes, de pillages et de manifestations, provoqués par le bras de fer entre l’opposant antisystème Ousmane Sonko et le pouvoir. Ils ont causé la mort de dizaines de personnes et donné lieu à des centaines d’arrestations. Ousmane Sonko, visé par différentes procédures judiciaires qu’il a dénoncées comme autant de stratagèmes pour l’écarter de la présidentielle, a été inculpé et écroué en 2023 pour appel à l’insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et atteinte à la sûreté de l’État. Son parti, le Pastef, a été dissous.
Le refus d’un troisième mandat de Macky Sall a contribué aux tensions. Après avoir longtemps maintenu le flou, il a annoncé en 2023 qu’il ne concourrait pas.
Le Sénégal est entré en période pré-électorale dans l’inquiétude de nouvelles violences. Le Conseil constitutionnel a validé en janvier vingt candidatures, mais éliminé celles d’Ousmane Sonko et d’une autre figure de l’opposition, Karim Wade. Les craintes de nouvelles confrontations ne se sont pas concrétisées. La diversité des candidatures a même été saluée comme un signe d’inclusivité.
Mais le rejet des dossiers de Karim Wade et de dizaines d’autres prétendants, ainsi que la confusion sur le fichier électoral et autour du système des parrainages nécessaires pour être candidat ont suscité de multiples protestations.
Un scrutin indécis
L’absence pour la première fois du sortant à l’élection et la multiplicité des candidatures annonçaient un scrutin ouvert comme jamais. Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Ba, adoubé par Macky Sall, a été publiquement critiqué par les siens, et faisait face à des dissidents.
Ousmane Sonko a certes été disqualifié, mais, contre une attente largement répandue, le Conseil constitutionnel a retenu celui que son parti avait désigné, Bassirou Diomaye Faye, emprisonné lui aussi, mais pas condamné contrairement à son chef. Bassirou Diomaye Faye s’est imposé ces dernières semaines comme un postulant crédible à la victoire, un scénario cauchemar pour le camp présidentiel.
L’affaire Wade
Le Conseil constitutionnel a disqualifié Karim Wade parce que selon lui il était Franco-Sénégalais au moment de son dépôt de candidature, ce qu’il conteste. La Constitution interdit la double nationalité à un candidat.
Karim Wade a lancé une campagne contre le Conseil constitutionnel, accusant deux de ses membres de collusion avec certains candidats, dont le Premier ministre. Il a réclamé le report de l’élection et porté le combat à l’Assemblée nationale, demandant une commission d’enquête et déclenchant une vive querelle sur la séparation des pouvoirs.
Contre toute attente, les députés du camp présidentiel ont soutenu la demande de commission, assurant ne pas vouloir que leur victoire souffre de contestation. L’Assemblée a approuvé la commission, alimentant la suspicion d’un plan ourdi pour ajourner l’élection et éviter la défaite.
Le rebondissement Wardini
Avec le Conseil constitutionnel, c’est une institution capitale dont la légitimité est attaquée à un moment critique. Il proclame les résultats de l’élection et statue sur les éventuelles contestations. Or quelques jours avant l’ouverture de la campagne ont été publiées sur les réseaux sociaux des informations selon lesquelles une autre candidate, Rose Wardini, avait elle aussi la double nationalité, alors qu’elle a été qualifiée. Elle a été placée en garde à vue vendredi.
AFP