« Vous voyez là ? C’est l’escalier qui mène à sa chambre », Prospère vit toujours à côté des locaux de la communauté des frères du Sacré-Cœur. Lorsqu’il avait 11 et 12 ans, il affirme avoir été abusé à deux reprises par un membre de la communauté, le frère Albert Maes.
« Il m’a offert un équipement de foot, et puis il m’a dit de le retrouver chez lui à 20h. Quand j’ai ouvert la porte, il sortait de la douche, une serviette sur la taille. » L’enfant de CM2 se retrouve ensuite, selon sa déposition, que France 3 Rhône-Alpes a pu consulter, écrasé sur le lit. L’homme lui fait une fellation forcée et essaie de le pénétrer. Il parvient à s’échapper et assure qu’il va raconter ce qui lui est arrivé. L’homme lui aurait alors promis de l’inscrire en 6ᵉ dans l’école qui jouxte la communauté.
Prospère, contacté depuis Lyon, nous répond, téléphone portable à la main, filme les lieux pour montrer que l’école est toujours là. Le religieux faisait miroiter au jeune garçon la possibilité de partir en Europe. Alors, il n’a rien dit, jusqu’« au jour où les faits se sont reproduits ». Le frère, cette fois, arrive à ses fins, il le viole et achète son silence. « Vous voyez le terrain de foot là ? Vous le voyez ? », sur la terre battue, des enfants jouent encore innocemment. Mais dans les yeux de Prospère, c’est une illusion déchirante. Celle qu’un adulte de confiance lui a fait miroiter après l’avoir violé une seconde fois. « Je vais te faire voyager, tu pourras aller en Europe ».
L’adolescent est doué avec un ballon rond, et le club monté par Albert Maës a des contacts avec le FC Sochaux Montbéliard. « Quand vous êtes dans une famille pauvre, vous avez envie d’y croire » raconte le Guinéen de 29 ans. « Et puis si tu dis que le blanc t’a fait ces sales choses, on ne te croit pas. On m’a traité de menteur ».
Le frère Albert Maës est membre de la congrégation des frères du Sacré-Cœur dont le siège est basé à Lyon. C’est donc devant ce bâtiment situé dans le 1ᵉʳ arrondissement que plusieurs militants ont décidé de mener une « action choc »le 22 février 2024. Ils ont reconstitué une “scène de crime” avec des objets symboles : ballon de foot, habits d’enfants ; crucifix…
Pour Prospère, « il faut qu’il soit jugé pour pas que d’autres recommencent ce qu’il a fait. Je suis inquiet pour les enfants qui fréquentent la congrégation, car il y a encore des prêtres de l’époque et tant que mon agresseur ne sera pas jugé, il peut y avoir des risques » estime-t-il.
Quatre plaintes ont été déposées contre le religieux en Guinée, il est accusé d’avoir violé plusieurs enfants de moins de 15 ans entre 1994 et 2002. Il a fui le pays dès les premières accusations rendues publiques.
Le frère Albert Maës était directeur d’une école catholique et d’un club de football. Quinze ans après avoir quitté la Guinée, il vit au Puy-en-Velay, et a été mis en examen pour viol et agression sexuelle sur mineurs par le tribunal de Clermont-Ferrand. Laissé libre, il a reconnu les faits, et a été placé sous contrôle judiciaire, tandis que l’instruction suit son cours.
L’affaire avait été rendue publique par l’émission Cash investigation en 2017. Cédric Augeyre,l’avocat de l’époque du prêtre Albert Maës déclarait alors sur notre antenne :
« Je crois qu’il faut que cette affaire soit dépassionnée et qu’il faut laisser le temps à la justice de pouvoir poursuivre son information, poursuit-il. Une information judiciaire en matière criminelle, c’est au moins 18 mois », 7 ans plus tard, le temps semble long, surtout en Guinée.
« Face aux événements qui se sont passés en Guinée Conakry, il y a une vingtaine d’années, les Frères réaffirment leur volonté que la justice soit faite » peut-on lire dans un communiqué rédigé par le diocèse du Puy en Velay à l’époque.
L’association Mouv’enfants, basée à Lyon, a adressé un courrier au Président de la République française, à la Déléguée interministérielle à l’Aide aux Victimes et à l’Ambassadeur de Guinée en France, pour dénoncer les délais d’attentes avant la tenue d’un procès aux assises en France.
« Ce qui me révulse », explique Arnaud Gallais, le cofondateur de l’association, Mouv’enfant « c’est qu’il y a 22 signalements de la CIASE » (commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, lui-même en fait partie). « Et on nous dit que dans le processus de réparation, on ne prend pas en compte les victimes à l’étranger. Sous-entendu, si vous être blanc, vous être reconnu comme victime, mais si vous êtes noir, dans un pays d’Afrique personne n’a rien à voir avec ça. C’est particulièrement odieux. »
Le mouvement de soutien des victimes de pédocriminalité a manifesté à plusieurs reprises à Lyon sur plusieurs affaires : Rivoire (devant son EHPAD), Ribes (Givors et nombreuses pétitions) et dernièrement la caravane contre les violences sexuelles.
L’association s’interroge également sur le nombre de victimes éventuel. Le frère Albert Maës était missionnaire en Côte d’Ivoire avant d’être en Guinée. En attendant le procès aux assises qu’ils réclament, les militants comptent multiplier les actions chocs.