Les 18 hommes et une femme qui ont écumé le Sénégal jusqu’à vendredi dans des cortèges colorés offrent une alternative entre changement et continuité.
Le projet de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, le principal ticket d’opposants, « c’est de partager équitablement les ressources. Ce qui appartient au Sénégal, il faut le laisser au Sénégal, c’est le patriotisme », dit Gnima Mané, une enseignante de 38 ans, dans la ville de Ziguinchor .
Le gouvernement « a beaucoup fait pour Diourbel », objecte à des centaines de kilomètres le lycéen de 19 ans Ousseynou Diène au cours d’un meeting d’Amadou Ba, le candidat du pouvoir. « Nous avons de nouveaux lampadaires, des routes, un stade gazonné à inaugurer », dit-il.
Amadou Ba, le dauphin désigné par le président sortant Macky Sall, et Bassirou Faye, le « candidat du changement de système » et d’un « panafricanisme de gauche », affirment tous deux pouvoir l’emporter dès dimanche sans passer par un second tour, dont la date n’est pas fixée. L’ancien maire de Dakar Khalifa Sall est le troisième favori.
Cette élection est « la plus ouverte » des douze présidentielles organisées depuis l’indépendance en 1960, dit Sidy Diop, directeur adjoint des rédactions du quotidien le Soleil.
Le président Sall, qui s’était attiré les louanges en renonçant en 2023 à briguer un troisième mandat, a causé un choc en décrétant le 3 février un report de dernière minute de la présidentielle. Des manifestations ont fait quatre morts.
Le Sénégal avait déjà connu depuis 2021 des épisodes de troubles provoqués par le bras de fer entre Ousmane Sonko et le pouvoir, conjugué au flou maintenu par le président sur un troisième mandat et aux tensions sociales. Des dizaines de personnes ont été tuées, des centaines arrêtées et l’image du Sénégal a souffert.
Le Conseil constitutionnel a finalement forcé l’exécutif à organiser l’élection le 24 mars. Le gouvernement a fait voter une amnistie et libéré des centaines de personnes, dont M. Sonko et M. Faye, détenus pendant des mois.
Ousmane Sonko, plus populaire et charismatique mais disqualifié par Conseil constitutionnel, s’est mis au service de M. Faye, partageant avec lui le ratissage du pays à bord de convois qui drainent des foules de sympathisants enthousiastes.
Le discours souverainiste de M. Sonko, ses diatribes contre les élites, les multinationales et l’emprise exercée, selon lui, par la France résonnent dans une partie de la population, dont la moitié a moins de 20 ans.
Mais son suppléant peine à sortir de son ombre. « A se demander s’il n’aurait pas mieux valu qu’il reste en prison », lance El Hadji Mamadou Mbaye, enseignant-chercheur à l’université de Saint-Louis.
« Le plus grave danger qui guette le Sénégal aujourd’hui s’appelle Amadou Ba », dit M. Sonko, un « fonctionnaire milliardaire » qui « sera le président des pays étrangers ».
Les Sénégalais doivent voter « pour l’expérience et la compétence. Au lieu de confier les rênes du pays à des aventuriers », assène à l’inverse M. Ba, critiquant en particulier la proposition Faye/Sonko d’émettre une monnaie sénégalaise à la place du franc CFA.
M. Ba, qui fait face à trois candidatures dissidentes au sein de la majorité sortante, dit vouloir « partager la prospérité » engendrée par un plan de développement du président Sall, et promet la création d’un million d’emplois en cinq ans. La candidate Anta Babacar Ngom en a promis cinq.
Le pays reste toutefois confronté à une pauvreté persistante et à un chômage chiffré officiellement à 20%, et à l’émigration de milliers de personnes chaque année.
Le Sénégal doit rejoindre en 2024 le cercle des producteurs de gaz et de pétrole. L’espoir de milliards de dollars de revenus va de pair avec la peur que cette ressource ne déséquilibre l’économie du pays et amène finalement plus de pauvreté.
Les experts redoutent peu des fraudes significatives lors du scrutin mais n’excluent pas des tensions en cas de victoire de M. Ba dès le premier tour, ou d’une absence de M. Faye au second.
Des résultats provisoires pourraient être connus dès la nuit.